Les charognards commençaient leur funèbre festin. Dans les ruines dévastées de ce qui fut un paisible village ionien, il ne restait plus que cendres et cadavres. Au milieu de ce paysage désolé, un mouvement inattendu mit en fuite un vautour. Une forme imprécise tentait de se frayer un chemin vers la lumière, rampant entre les corps. La silhouette était de petite taille. Un enfant.
Les couleurs de Noxus étaient à peine visibles sur le cuir bouilli sensé protéger l'enfant-soldat, maintenant recouvert de sang et de boue. Son armure était déchirée, et l'une des mains du garçon était plaquée sur une blessure trop profonde pour lui permettre de se relever. L'autre se servait d'un outil brisé pour avancer, et s'y agrippait avec la fierté du désespoir, aussi ferme que sa volonté de vivre. Entre ses cheveux noirs hirsutes, libérés du casque qui les cachait, ses yeux fauve brillaient comme ceux d'un prédateur, farouches et sauvages.

L'armée qui l'avait mené là était depuis bien longtemps partie. Abandonné à son sort, laissé pour mort. La colère qui l'animait n'avait d'égale que la crispation de ses doigts autour de son arme de fortune. Il avait été embarqué dans une bataille à laquelle il ne comprenait rien. Il s'était battu pour eux, avait tué pour eux. Mais ne ressentait aucune haine.
Ce qui l'avait amené là était sa propre faiblesse. Il savait malgré son jeune âge que la guerre ne pardonnait aucune erreur. Ce n'était pas un jeu. S'il gisait dans la boue, c'est parce qu'il avait été vaincu. Il s'était laissé déborder, et avait fini par tomber, comme tant d'autres. Il valait tellement mieux que cela ! Il maudissait sa faiblesse, son corps frêle, son manque d'entraînement. S'il avait été mieux préparé...
Malgré l'hésitation des Ioniens il avait été tailladé de part en part. Transi, il n'arriverait bientôt plus à bouger le moindre muscle. Il ne se faisait pas d'illusion, la vie n'accorde pas de seconde chance. Mais jusqu'à son dernier souffle il continuerait d'avancer. S'il réussissait à se mettre à l'abri, à trouver de l'eau, peut-être serait-il en mesure de se soigner. Il n'abandonnerait pas.

Alors que le regard du garçon ne voyait plus que le rouge et le gris de cette scène monotone et morbide, il fut surpris. S'était-il assoupi un instant ? Si tel était le cas, c'était une promesse de mort. Il ne fallait surtout pas faiblir. Car ce qu'il fixait, juste devant son visage, n'était rien d'autre... qu'une paire de bottes.
Lentement, il releva la tête. Un groupe d'hommes s'étaient arrêté devant lui. Ils étaient tous vêtus de vêtements sombres, et leurs mouvements étaient fluides et furtifs. Celui à leur tête était différent. Ce n'était pas tant le rouge sur sa tenue qui interpela l'enfant que le regard qu'il percevait au travers du heaume. Il fronça les sourcils. De quel droit cet inconnu se permettait-il de le juger ? Mais il était impressionné. La maîtrise et la prestance de cet homme ne faisait aucun doute. Il aurait souhaité pouvoir le regarder en face, plutôt que d'être condamné à contempler ses semelles.
Un trait de lucidité perça la couche de brume qui couvrait son esprit : il se sentait mourir. Pourquoi maintenant ? Pourquoi devant cet homme, qui avait gagné son respect au premier regard ?

L'enfant sentit vaguement qu'on le soulevait. Il parvint à garder les yeux ouverts encore un moment et comprit. L'homme en rouge le portait. Regardant droit devant mais sachant l'attention dont il était sujet. C'était le début d'une nouvelle ère. Luttant pour rester conscient, il se jura que c'était la première et la dernière fois que cet homme le voyait faible.