[...]

La dernière chose dont Ivern se souvenait, hors du fait qu’il était entrain de couver un plant de roses luminantes depuis un temps qu’il ne saurait définir, c’était d’avoir séparé deux chouettes en plein conflit, d’avoir partagé un repas avec des tortues qui faisaient un road trip, puis de s’être prudemment installé en milieu de forêt pour éviter les populations humaines peu amènes ces temps-ci. Sa rencontre avec le bosquet naissant était donc une bénédiction, et il ne se priva pas de lui garantir un abri.

Cela faisait maintenant un bon nombre d’années qu’il était retourné sur ses iles d’origine, et même si ces temps n’étaient pas des plus paisibles pour les peuples ioniens, ils ne l’étaient pas plus pour leurs forêts. Et c’est ainsi que Ivern s’était fait un devoir de rester protéger les siens plus que jamais.

Récemment, les excursions humaines se faisaient plus rares. Les hommes en gris et rouge, ceux qui parlaient fort, avec un accent rude étaient moins fréquents, et même si cela soulageait Ivern, il savait qu’il ne fallait en rien s’y fier.

Ainsi, plus qu’à l’accoutumée, il se déplaçait, réduisait ses siestes pour mieux patrouiller à travers le continent.


Ce réveil la fut pour lui tout particulier, en l’occurrence. Ce qui l’avait concrètement fait sortir de sa transe, réellement, était un voyageur qui passait près de lui. Il s’était arrêté à ses côtés, avait bu dans la source claire qui jonchait ses racines, puis était reparti aussitôt.

Et c’est en l’entendant qu’Ivern avait porté attention à sa nature… car ce petit voyageur n’était en fait pas un humain. Au premier coup d’œil, Ivern avait bien vu la cape bleue et la sacoche, mais n’avait noté la fourrure et les oreilles de félin qu’à sa deuxième œillade ! Très curieux, il se tourna lentement sur lui, qui l’avait maintenant dépassé. N’ayant jamais vu une créature de cette race, doté de vêtements qui plus est, l’envie fut trop forte pour Ivern. Il décida qu’il allait suivre l’animal.

Ses motivations n’avais rien de sournoises, ne vous y trompez pas. A un moment ou un autre, il savait que la rencontre serait inévitable, et le vieux saule serait ravi de connaître enfin le fin mot de l’histoire. Mais pour le moment, il préférait jouer la carte de la sûreté. Comme il le savait bien, la prudence était de mise.

Au fur et à mesure de l’avancée du petit être, Ivern commença sa marche, s’arrêtant de temps en temps quand le premier guettait, ou faisant des détours pour rester discret. Mais lorsque le petit félin grimpa sur une branche au détour d’un sentier, Ivern se figea au bord du chemin, derrière un arbre mort. En face d’eux, au loin, se situait un humain.
Il fallait attendre. Quoi que puissent chercher cet humain et ce voyageur a queue, il devait rester discret… pour le moment.

[...]

L’Homme était parti. Toujours aussi curieux et excité à l’idée de rencontrer ce petit individu, je continuai de le suivre. Tôt ou tard, il faudrait bien que je me découvre à lui, et pourtant, l’idée de l’observer sans me manifester avait quelque chose d’hypnotisant. On comprenait très facilement à ses mouvements nerveux qu’il était étranger ici. D’ailleurs, il m’avait approché et fixé à plusieurs reprises. Avais-je trahi ma cachette ?? Non, impossible. Je suis bien trop introuvable et vert pour être suspecté ma foi ! Ohoh !

La promenade continua, tandis que je le sentais de plus en plus stressé. Sentait-il un danger quelconque ?! Quelqu’un le traquait-il ? Je pouvais le comprendre… Dans le coin, les papillons ont vraiment une curiosité mal placée avec les étrangers.
Après une énième œillade derrière lui, nous reprenions la route. J’allais lui régler son compte, moi, à celui qui inquiétait les promeneurs champêtres !
Alors que je m’apprêtais à traverser le sentier, le petit être fit volte-face !! je fus si surpris que j’en restais suspendu dans mon mouvement !

Avant même que j’ai pu dire quoi que ce soit, l’écureuil commença à gesticuler, levant ses mains devant lui et débitant un flot continu de mots flous.
Pour être honnête, sa panique déteignit sur moi, et alors qu’il continuait son monologue incohérent, je me mettais aussi à tendre les mains comme dans une volonté de montrer mon pacifisme.

« Ne t’enfuis pas voyons !! Non non ! Je n… Excuse-moi… ? Te manger ? Je ne suis qu’une vieille branche voyons, n’aie pas peur !! Je m’inquiétais ! est-tu perdu ? Fuis-tu un danger ?! »

Alors que je m’évertuais à prendre une voix chaude et rassurante, je m’avançais touuuut doucement, les mains bien ouvertes face à lui et le dos courbé. Les petits perdus prennent souvent du temps avant d’accepter qu’on les approche. Et qui sait combien de bébés animaux ai-je déjà retrouvé et ramené !!

Ça n’était vraiment pas la rencontre que j’imaginais, mais il en était ainsi… !
Et ce fut à cet instant que je connectai. Il parlait, bonne sève !!!
Je ne connaissais pas l’accent et le langage, mais certains mots me semblaient familiers !! Ces sonorités rudes et sèches, j’avais dû l’entendre quelque part… A l’ouest peut être, chez les humains ?! Etrange…
Et plus surprenant encore : d’autres mots encore me semblais eux, totalement indescriptibles… Curieux… c’était même un tout autre langage à l’y entendre.

Des vêtements, des langages que l’on retrouve chez les humains… Cet individu-là était un véritable mystère !

[...]

Il l'avait redit ! Il avait utiliser le mot manger !!

Comme c'est étrange... A croire qu'il avait peur de moi... Ohoh !
Comme c'est loufoque, personne ici n'ignore que l'on peut se fier au bon vieux Ivern !
Il lista des mots, dans des langages différents. Quelques uns me parlèrent dans les sonorités, mais je n'eus bel et bien aucune idée de ce qu'il disait. Puis il se montra en prononçant son nom.

"Hiroyuki ?"

J’acquiesçai, avec un grand sourire, et me montrai du doigt à mon tour.

"Ivern." Puis, pour lui montrer ma bonne volonté, j'ouvrit la paume, et fermai les yeux. en quelques secondes, je fis pousser une marguerite sauvage au creux de l'écorce usée, puis la cueilli, pour la tendre au voyageur. Avec ça, il devrait comprendre tout le bien que je lui veut.  

Il se mit a énoncer quelques phrases, mais sans succès. L'accent, je le connait, les intrus en rouge l'ont, du moins... Les sonorités... Mais moi, les langues que je connais sont le ionien, et tout les langages animaux, végétaux et minéraux.

Je le regarde ouvrir en grand la bouche, en secouant la tête... ça me désole, mais comme ça, je ne peu rien faire... En plus, il semble vouloir me dire quelque chose...

Je me demande quelle est son histoire...Tandis qu'il attend une réponse, je réfléchit. Je me met sur un genou, et je tente de dessiner sur le sol, du bout de mon doigt, ce que je sais de la géographie du monde, en ponctuant ma réflexion de marmonnements.  

De par mes voyages et mes amis a travers le continent, je connais bien les Iles. Mais au delà, je ne saurais que peu quoi en dire... Je tente maladroitement de signifier l'océan, puis je dessine le continent que j'ai pu foulé récemment par une grande patate sans réelle forme. Puis je ponctue mon oeuvre d'un sourire en pointant Ionia, nous montrant par la même occasion.

Je suis fier de moi, je pense avoir été très clair ! Et puis, je suis connu pour être aussi sain d'esprit et lucide que les cerfs moussus des plaines.
cette énigme, nous allons la résoudre !

[...]

« Oui !! Oui c’est ça, Ionia ! »

J’articule bien le dernier mot. Nous sommes d’accord. Peut-être que nous allons enfin trouver une solution !
Rapidement, je l’observe reprendre ses mimes, accompagnés de déplacements et de paroles à profusion. Décidément, je ne comprends pas. Puis, sans prévenir, je le vois produire un éclat rouge dans sa main. Je m’exclame, en sentant la magie affluer dans sa main.


« Ohohoh ! Magnifique !! Tu maitrise la magie ?! » Je n’ai aucune idée de ce qu’il essaie de me montrer, mais cette info me suffit entièrement. Cependant, il me coupe à nouveau et continue de me solliciter. Ce petit est vraiment paniqué.

Il se met à me montrer des plantes variées, dont la fleur que je lui ai donnée.
Puis, il se frotte le ventre. Je comprends enfin, en un éclair de temps.

« Oh ! Mais tu as faim ! » Je me tapote la tête. « Je suis étourdit bon sang. Bien sur que tu peux la manger ! Mais il y a mieux… » Je souris en hochant la tête, puis fronce un peu les sourcils.

Il faut que je lui trouve des fruits. Je me retourne et cherche des yeux un quelconque arbuste a fruit. Rien… Il n’y a que des fougères hautes ici… Bon…
Je fais un signe de la main au jeune individu, puis m’accroupis tout près du sol. Il est temps de faire naître de jolis et généreux fruits !!


Je pose à plat mes larges mains sur le sol terreux, et me concentre pour canaliser un flux d’énergie vitale. Je me focalise sur les entrailles de la terre et détecte une graine de figuier un peu plus en profondeur. L’intégralité de mon canal magique se déverse dessus tandis qu’une douce lumière jaune embaume les mains. La graine s’agite, je sens son noyau grandir et naître, ainsi que la tige qui s’allonge et remonte droit vers la surface. Entre mes pouces, apparaît enfin le germe, qui s’étire au fur et à mesure que mon sourire s’étend.

Quelques secondes plus tard, l’arbuste a dépassé l’étranger, et il n’en faut encore que peu avant que nous nous retrouvions sous un magnifique arbre au tronc encore jeune mais vigoureux.

Je ris, fier du travail fournit par ma collaboration avec la nature.

« Et voila pour toi, mon ami. » Je lui tends l’un des gros fruits charnus et aux senteurs d’été. Puis je lui glisse sur le ton de la confidence.

« C’est un cadeau de la nature. »